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lorely.

que, voulant mieux les entendre parler, nous arrêtâmes une marchande de gâteaux pour leur distribuer toute sa provision. Après le partage, ils se mirent à jouer bruyamment sur la place, et la marchande nous dit :

— Vous leur avez fait tant de joye que les voilà qui courent présentement comme des harlequins.

Il faut remarquer que le nom d’Arlequin s’écrivait ainsi du temps de Louis XIV, avec un h aspiré, comme on peut le voir notamment dans la comédie des Comédiens de Scudéri.

N’est-ce pas là une merveilleuse rencontre, et qui valait tout le voyage ? Je dois ajouter, malheureusement, que cette population française de Dornshausen n’est pas physiquement brillante, bien qu’elle ait, nous a-t-on dit, donné le jour à M. Ancillon, le ministre de Berlin. Les Allemands que nous rencontrions en nous y rendant nous disaient :

— Vous allez entrer dans le pays des bossus.

Il est vrai que jamais nous ne vîmes plus de bossus que dans ce canton ; cette race, qui ne s’est jamais mélangée, est grèle et rachitique, comme la noblesse espagnole, qui de même ne se marie qu’entre elle. Les familles de Francfort prennent des servantes à Dornshausen, afin d’apprendre le français à leurs enfants. Le grand souvenir de la révocation de l’édit de Nantes et d’une si noble transmission d’héritage aboutit à cette vulgaire spécialité.

Après un mois de séjour, nous avons quitté Francfort, dont j’aurai à reparler plus tard.


VII — MANNHEIM ET HEIDELBERG


Nous venions de remonter le Rhin, de Mayence à Mannheim, toute une longue journée ; nous avions passé lentement devant Spire, éclairée des derniers rayons du jour, et nous regrettions d’arriver en pleine nuit à Mannheim, qui présente, le soir, comme Mayence, l’aspect d’une ville orientale. Ses édifices de pierre rouge, ses coupoles, ses tours nombreuses aux flèches