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lorely.

théâtre, sûrs qu’il serait charmé de nous servir de cicerone et d’obliger à la fois un poète dramatique et un feuilletoniste français, lui qui, quoique Allemand, a joué les tragédies de Corneille à la Comédie-Française. M. Jerrmann était à la répétition. Dès que nous apprîmes que c’était le Roi Lear qu’on répétait, nous demandâmes à être introduits ; ce qu’on nous accorda facilement, toujours en raison de nos qualités.

L’intérieur des théâtres allemands est complètement semblable à celui des nôtres ; nos habitudes de coulisses nous servirent donc merveilleusement à gagner sans bruit une place au parterre, et, là, nous entendîmes deux beaux actes, joués en redingotes et paletots, mais avec cette intelligence et cette harmonie d’ensemble que l’on admire sur les plus petites scènes de l’Allemagne.

Toutefois, cette épithète ne peut être donnée à celle de Mannheim. Nous songions avec un saint respect, auquel aidait du reste l’obscurité du lieu, que ce fut à ce théâtre même que l’on représenta les premiers drames de Schiller. La répétition qui avait lieu devant nous montrait que ce noble théâtre n’avait pas dégénéré.

Dès que M. Jerrmann fut averti de notre présence, il vint à nous, se félicita surtout de faire la connaissance d’un auteur dont il avait traduit plusieurs ouvrages, et voulut bien nous montrer la ville en détail. Nous visitâmes la résidence tout à fait royale, les vastes jardins qui côtoient le Necker, prêt à se jeter dans le Rhin ; nous admirâmes la disposition des massifs de verdure, les longs chemins sablés qui vont se perdre au bord du fleuve, les pelouses touffues, et ce cercle d’eaux vives qui partout encadre l’horizon ; mais nous fûmes distraits facilement de cette admiration, lorsque M. Jerrmann nous apprit que, dans ces jardins mêmes, le long d’une de ces allées, Carl Sand s’était rencontré avec Kotzebue, qu’il devait frapper trois heures plus tard, et, sans le connaître, avait croisé sa marche plusieurs fois.

Je ne prétends pas raconter cette histoire si connue, que