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lorely.

Il se rendit au couvent pour remettre son travail et se faire payer. On le fit attendre dans une salle, dont le centre était occupé par une vaste table, autour de laquelle une vingtaine de moines travaillaient assidûment.

À quoi travaillaient ces moines ? Ils s’occupaient à gratter des manuscrits grecs et latins pour les rendre propres à subir une écriture nouvelle. Faust jeta les yeux sur un Homère dont les premières lignes allaient disparaître…

— Malheureux ! dit-il au moine, que veux-tu écrire à la place de l’Iliade ?

Et ses yeux tombaient attendris sur le vers qu’on peut traduire ainsi :

Il s’en allait le long de la mer retentissante.

En ce moment, le supérieur entrait. Faust lui demanda à quel usage on destinait ces feuilles quand elles seraient grattées.

Il s’agissait de reproduire un livre de controverse, Thomas A’Kempis ou quelque autre. Faust ne demanda d’autre prix de son travail que ce manuscrit qu’il sauva ainsi de la destruction. Les moines sourirent de sa fantaisie et de sa simplicité. Il fallait un écrit pour qu’il pût sortir du couvent avec le livre. Le prieur le lui donna obligeamment, et imprima son cachet sur le parchemin. Un trait de lumière traversa l’esprit de l’orfèvre, il pouvait s’écrier : Eurêka ! comme Archimède. Et combien il faut reconnaître la main de la Providence dans la combinaison de deux idées, quand on songe que, depuis des milliers d’années, on avait imprimé des sceaux et des cachets avec légendes, des inscriptions même (comme on en a retrouvé à Pompéi), qui servaient à marquer les étoffes ! Faust concevait la pensée de multiplier les lettres et les épreuves pour reproduire la parole écrite.

Faust emporta, comme la proie de l’aigle, le manuscrit et l’idée. Cette dernière ne se présentait pas encore nettement à son esprit.