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LES NUITS DU RAMAZAN.

cependant à ce spectacle, bravant les chances d’une déception grossière.

À la porte de ce cheb-basi (jeu de nuit) se tenaient quatre acteurs, qui devaient jouer dans la seconde pièce ; car, après Caragueus, on promettait encore le Mari des Deux Veuves, farce-comédie, de celles qu’on appelle taklid.

Les acteurs, vêtus de vestes brodées d’or, portaient sous leurs tarbouchs élégants de longs cheveux nattés comme ceux des femmes. Les paupières rehaussées de noir et les mains teintes de rouge, avec des paillettes appliquées sur la peau du visage et des mouchetures sur leurs bras nus, ils faisaient au public un accueil bienveillant, et recevaient le prix d’entrée en adressant un sourire gracieux aux effendis qui payaient plus que le simple populaire. Un irmelikalten (pièce d’or d’un franc vingt-cinq centimes) assurait au spectateur l’expression d’une vive reconnaissance et une place réservée sur les premiers bancs. Au demeurant, personne n’était astreint qu’à une simple cotisation de dix paras. Il faut ajouter même que le prix de l’entrée donnait droit à une consommation uniforme de café et de tabac. Les scherbets (sorbets) et les divers rafraîchissements se payaient à part.

Dès que je fus assis sur l’une des banquettes, un jeune garçon, élégamment vêtu, les bras découverts jusqu’aux épaules, et qui, d’après la grâce pudique de ses traits, eût pu passer pour une jeune fille, vint me demander si je voulais un chibouk ou un narghilé, et, quand j’eus choisi, il m’apporta en outre une tasse de café.

La salle se remplissait peu à peu de gens de toute sorte ; on n’y voyait pas une seule femme ; mais beaucoup d’enfants avaient été amenés par des esclaves ou des serviteurs. Ils étaient la plupart bien vêtus, et, dans ces jours de fête, leurs parents avaient sans doute voulu les faire jouir du spectacle, mais ils ne les accompagnaient pas ; car, en Turquie, l’homme ne s’embarrasse ni de la femme ni de l’enfant : chacun va de son côté, et les petits garçons ne suivent plus les mères après le premier