Page:Nettement - Histoire de la littérature française sous la restauration 1814-1830, tome 1.djvu/366

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on trouve dans des cieux indulgents jusqu’à l’indifférence.

Ces caractères se rencontrent à un haut degré dans une remarquable pièce intitulée la bonne vieille[1], où le poëte voyant, dans l’avenir, sa maîtresse vieillie lui survivre, recommande sa mémoire à son long et doux souvenir. Ils se retrouvent aussi dans la pièce intitulée le Temps, dialogue poétique entre le dieu mythologique qui moissonne nos années, et un couple heureux qui le supplie d’épargner ses amours[2]. C’est la morale épicurienne d’Horace qui reparaît dans le poëte

  1. Vous vieillirez, ô ma belle maîtresse,
    Vous vieillirez, et je ne serai plus.
    Déjà le Temps semble, dans sa vitesse,
    Compter deux fois les jours que j’ai perdus ;
    Survivez-moi, mais que l’âge pénible
    Vous trouve encor fidèle à mes leçons ;
    Et bonne vieille, au coin d’un feu paisible,
    De votre ami répétez les chansons.

  2. Devant son front chargé de rides,
    Soudain nos yeux se sont baissés ;
    Nous voyons à ses pieds rapides
    La poudre des siècles passés.
    À l’aspect d’une fleur nouvelle
    Qu’il vient de flétrir pour toujours,
    Ah ! par pitié, lui dit ma belle,
    Vieillard, épargnez nos amours !

    Il est remarquable que la même idée se soit présentée à M. de Lamartine dans une de ses méditations, le Lac (voir la page 272), et il est curieux de comparer les beaux vers où les deux poëtes ont exprimé le même sentiment, l’un avec les pompes brillantes et l’éclat un peu froid d’un esprit païen et lettré, l’autre avec un accent de sensibilité et de passion plus naturel et plus vrai. L’ode de M. de Béranger est une belle ode antique, la mélancolie moderne a empreint de ses parfums plus suaves et plus pénétrants la pièce de M. de Lamartine.