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POESIE.

qui regarde la fidélité comme une superstition, ne chante guère l’amour à la chaleur duquel naissent des sentiments élevés, dévoués, héroïques, mais le libertinage qui énerve les corps et tue les âmes. Il a donné une singulière excuse de ses chansons libertines (on ne saurait, en bonne justice, leur appliquer un autre nom) : « Elles ont été, dit-il, des compagnes fort utiles données aux graves refrains et aux couplets politiques. Sans leur assistance, je suis tenté de le croire, ceux-ci auraient bien pu n’aller ni aussi loin, ni aussi bas, ni aussi haut[1]. » M. de Béranger employait, on le voit, la licence, à peu près comme les archers emploient les plumes qui soutiennent leurs flèches dont elles prolongent l’essor. Qui donc dès lors oserait s’en plaindre ? N’était-ce pas une œuvre pie ? L’immoralité était un devoir, quand il s’agissait de perdre la restauration. Chose triste à dire, il prolonge cet hymne sensualiste jusqu’à un âge qui lui ôte l’excuse de l’entraînement des passions. Un critique célèbre a fait à ce sujet une remarque pleine de justesse : ce goût de la gaudriole, pour nous servir du nom joyeux que le poëte égrillard donne au libertinage, menace, quand il survit à la jeunesse et poursuit l’homme, même sous les cheveux blancs, de devenir une passion dominante, exclusive, qui s’allie mal avec ces sentiments sérieux, ces idées graves dont le poëte fait parade dans plusieurs de ses compositions. On peut croire qu’alors il entre en scène et

  1. Préface de l’édition de 1839.