Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/121

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vers rend une femme ridicule, le goût des arts ajoute à son amabilité. C’est donc au mérite de son ouvrage qu’est attaché le pardon d’un auteur féminin ; aussi madame P*** aurait-elle complétement gagné sa cause au tribunal des plus rigides censeurs, si, fière d’avoir rimé des vers charmants, elle avait renoncé au vain plaisir de les lire elle-même.

La séance finie, Gustave voulut se retirer ; mais Alméric lui représenta que ce serait perdre la meilleure partie du comique de cette soirée, que de ne pas entendre les conversations qui la terminaient, et il se laissa conduire par lui vers un groupe de personnes auxquelles le citoyen V*** prouvait mathématiquement que le plus grand poëte du siècle était son ami L***. Il est vrai que l’ami L***, qui déclamait à l’autre bout du salon, prouvait tout aussi clairement à un petit nombre d’auditeurs que le citoyen V*** était le premier littérateur du monde. Cette apothéose réciproque fut depuis consacrée par Chénier dans sa satire du docteur Pancrace.

    Un jour Gille et Pierrot revenant de la foire,
    Aux deux bouts du pont Neuf placèrent deux tréteaux.
    Les passants ébahis lisent leurs écriteaux.
    On s’ameute. Pierrot disait : — Courez la ville,
    Vous n’y pourrez trouver qu’un bel esprit, c’est Gille.
    Chacun reçut du ciel un talent différent ;
    Mais tout devient petit devant Gille-le-Grand.
    Gille, sur l’autre bord, criait, d’un ton capable :
    — Rien n’est grand que Pierrot. Pierrot seul est aimable.
    On les croit sur parole, et tout le peuple sot
    Va du grand homme Gille au grand homme Pierrot.

Après avoir imité un instant le peuple sot, et s’être diverti du caquet cédant de quelques vieilles muses, Gustave sortit enfin de ce petit Parnasse, charmé de savoir qu’il existât dans Paris une boutique de gloire où les brevets d’immortalité s’achetaient à si bon compte.