Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/199

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traite des idées qui la préoccupaient, se mit à écouter attentivement ce que chacun disait de mon maître. Cependant elle ne mêlait pas un mot à la conversation : son mari, impatienté de lui voir garder un silence si obstiné, l’interpela hautement, et la contraignit à dire son opinion sur M. de Révanne. Je fus alors témoin d’un effet singulier, que j’ai observé plus d’une fois, sans jamais pouvoir me l’expliquer.

Madame de Verseuil employa les expressions les plus flatteuses de notre langue, les tours les plus ingénieux pour louer les qualités, les agréments de Gustave, sa bravoure, son esprit, sa bonté, son élégance, rien ne fut oublié ; et de cet éloge si juste, si bien tourné, que résulta-t-il ?… L’impression la plus défavorable à mon maître.

Voilà de ces mystères où les esprits malins sont seuls initiés. Il faudrait pouvoir noter les inflexions de voix de l’apologiste, pour donner une idée de la médisance de ses éloges. Mais les personnes exercées dans l’art des réticences et des insinuations comprendront le succès qu’obtint la malice de madame de Verseuil en cette circonstance. Moi, je me borne à le raconter.



XLII


Gustave se tint parole, et ne rentra que lorsque le bruit des fifres et des tambours l’avertit de l’arrivée de Bonaparte. M. Rughesi, accompagné de tous les notables de la ville, alla à la rencontre du général en chef, et le conduisit, par un péristyle orné de fleurs, jusqu’au salon où Stephania, entourée des plus jolies femmes de Milan, l’attendait pour lui offrir des bouquets de laurier rose. À l’aspect de ce groupe charmant, Bonaparte témoigna la surprise la plus flatteuse. Il est certain que la vue de toutes ces jolies femmes, vêtues à la grecque, et circulant entre des colonnes de marbre, décorées de guirlandes, rappelait une de ces fêtes antiques, si bien dépeintes par le jeune Anacharsis. Nos uniformes français, en nous ramenant aux temps modernes, donnaient un air martial à cette réunion. Aussi les poëtes ne manquèrent-ils pas