Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/241

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madame Verseuil que cet entretien devait être imprévu pour mon maître ; car, ajoutai-je, plus il en attendrait de consolation, plus sa conscience lui ordonnerait de s’y refuser. Alors nous convînmes que le soir même madame de Verseuil demanderait à sa belle-sœur et au major de la dispenser de les accompagner à la promenade, en prétextant des lettres importantes à écrire au général ; et que, dès qu’ils seraient éloignés, elle se rendrait dans le salon qui touchait à l’appartement de mon maître. Je devais y conduire Gustave, si ses forces lui permettaient de venir respirer l’air sur un grand balcon donnant sur le jardin. En convenant de cet arrangement qui mettait sur le compte du hasard une rencontre si bien méditée, je n’avais pas prévu toutes les raisons que m’opposerait Gustave pour ne pas sortir de sa chambre. Il était accablé de la fatigue qui suit un accès de fièvre. Je l’avais tourmenté tout le jour pour qu’il se mît au lit ; et lorsque, la nuit venant, il allait enfin se reposer, je le tourmentais de nouveau pour qu’il s’habillât, et sortît de son appartement. Rien n’était plus inconséquent. Je le suppliais de passer un seul instant dans ce grand salon pour me donner le temps d’arranger sa chambre. Je lui jurais qu’il n’y avait personne dans cette pièce ; et tout en lui affirmant cela, je brossais son habit, je lui donnais une cravate et un mouchoir blancs, comme s’il allait faire une visite. À toutes ces bévues j’ajoutais des phrases qui se contredisaient d’une manière étrange. Gustave me regardait avec étonnement, et cherchait à deviner le mystère qui me rendait si déraisonnable. Enfin, n’y comprenant rien, il se décida à m’obéir, moitié pour ne pas me désobliger, et moitié pour savoir quel intérêt me faisait tant insister sur ce qu’il se rendît dans le grand salon de l’hôtel.

Il n’y fut pas longtemps sans que l’arrivée d’Athénaïs vînt lui expliquer mes bizarreries ; et je ne répondrais pas que cette apparition lui ait causé toute la surprise qu’il en témoigna. Cependant il se levait pour saluer madame de Verseuil et se retirer, lorsqu’elle lui dit d’une voix émue :

— Ne me fuyez pas, Gustave, ou je croirai que je vous suis odieuse, et vous aurez un malheur de plus à vous reprocher.