Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/312

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— Ceci est autre chose. On m’avait défendu de dire à qui que ce fût qu’elle habitait le pavillon du jardin qui donne sur la cour ; car madame de Civray n’a consenti à venir passer les premiers mois de son deuil près de sa tante, qu’à la condition de laisser ignorer son séjour à Paris, et je me serais cru fort coupable de trahir un secret auquel elles attachaient beaucoup d’importance, et qui me semblait n’en avoir pas pour vous.

Alors Gustave fit un mouvement que je traduisis par ces mots : Qu’en sais-tu ? Mais aussitôt, retenu par je ne sais quelle idée, il dit :

— Je ne t’en veux point d’avoir obéi à ma mère… Elle a bien fait ; sa nièce était malade, elle avait besoin d’être soignée, consolée par une amie… Ma mère devait lui épargner des visites importunes… le monde est si insupportable aux malheureux !…

Et par suite de cette réflexion mélancolique, Gustave repassa toutes les situations de sa vie où il aurait voulu fuir pour jamais ce monde ennemi de tout repos, et finit par me confier la résolution qu’il avait prise de se consacrer désormais aux seuls intérêts de sa gloire militaire.

J’en dois convenir, cette fois il se tint parole ; car tout le temps que dura cette campagne, je ne lui connus d’autres distractions à ses travaux que le plaisir d’écrire à Paris et d’en recevoir des lettres. Il avait quelque mérite à ne pas s’amuser davantage ; car son amabilité et sa tristesse même le faisaient rechercher de toutes les jolies françaises qui marchaient pour ainsi dire à la suite de nos bataillons. Madame Bonaparte, en venant se fixer à Milan pendant l’été, avait attiré une grande partie des femmes dont les maris étaient employées à l’armée ; et pour celles que le monde gouverne, il était indispensable de parcourir le théâtre de nos conquêtes, ne fût-ce que pour en rapporter des chaînes de Venise ou des camées antiques. Milan était alors le séjour des plaisirs, et le salon de madame P…, celui de madame Bonaparte, où se réunissaient chaque soir l’admirable madame V… la jeune et belle madame R… de S-J…-d’A…, la sémillante madame H… la bonne et spirituelle madame A… et vingt autres