Aller au contenu

Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renverse, et je le crois mort. Mes cris attirent les garçons d’un café voisin, et font retourner sur leurs pas deux hommes qui venaient de passer au galop. Ils descendent de cheval, volent vers nous, et dans le premier qui aide à relever le pauvre Picard, je reconnais M. de Norvel. J’avoue qu’oubliant alors ma promesse et vos craintes, je me félicitai d’être secourue par un de vos amis, et que, touchée des soins qu’il prodigua à mon vieux serviteur, je ne crus pas devoir en dissimuler ma reconnaissance.

» Après avoir ramené Picard, nous le fîmes transporter ici, et M. de Norvel, me voyant seule, s’offrit pour me reconduire. Le refuser eût été faire preuve d’une pruderie ridicule, et lui défendre ma porte, après en avoir reçu un semblable service, n’aurait paru qu’une impolitesse affectée. Enfin, j’ai préféré vous désobéir à vous humilier ; car j’aurais eu honte de laisser croire à votre ami que vous le jugiez si dangereux pour moi. Suis-je donc si coupable ? ajouta madame de Verseuil en tendant la main à Gustave et en levant sur lui un regard plein d’amour.

— Je veux vous croire… Je vous crois, dit-il, en se rapprochant d’elle ; mais si la crainte de m’alarmer vous a fait garder ce mystère avec moi, si vous avez cru convenable d’être polie avec Alméric, rien ne vous obligeait à le voir si souvent ?

— Cela est vrai, reprit Athénaïs avec cet air de candeur qui prête tant de charme à l’aveu d’un tort, et qui ne permet pas de soupçonner qu’on en puisse dissimuler un plus grand. Oui, j’aurais pu me dispenser de causer avec lui si longtemps lorsque le plaisir de parler de vous l’attirait chez moi. Je l’aurais dû peut-être, car il n’était pas difficile de prévoir le parti que la méchanceté tirerait de ces fréquents entretiens ; mais je confesse qu’en m’apprenant tout ce que votre famille, vos amis tentaient pour nous séparer, les espérances que votre mère conservait à cet égard, et les nouveaux moyens qu’elle se promettait d’employer pour arriver à ce but, M. de Norvel me devint chaque jour plus nécessaire. Son amitié pour vous, la connaissance qu’il a de votre caractère, les assurances qu’il me donnait de votre fermeté à braver des