Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/326

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donna l’ordre de servir ; mais à peine le dîner est-il à moitié, que Germain entre l’air égaré, les lèvres tremblantes, demande tout haut si M. de Léonville est là, lui dit le plus gauchement possible de venir tout de suite, qu’il n’y a pas un moment à perdre ; puis s’apercevant de l’effroi qu’il cause, ce n’est rien, ajoute-t-il, plus sottement encore, c’est un monsieur qui le demande ; et il s’enfuit en faisant à M. de Léonville des signes mystérieux. Je les suis tous deux.

— Accourez, s’écrie Germain de manière à être entendu de la rue : Accourez vite ; il s’est battu, l’épée a traversé le corps ; il n’a peut-être plus qu’un moment à vivre !

— Tais-toi, misérable, lui dis-je en mettant ma main sur sa bouche, tu vas tuer sa mère.

Et je me précipitai au bas de l’escalier sans savoir où j’allais.

— Par ici, nous dit Germain en nous conduisant vers le pavillon.

— Je n’ai pas voulu, ajouta-t-il, le faire porter dans sa chambre, de peur d’effrayer madame. Il est là sur un matelas, dans le pavillon du jardin. Le chirurgien et un jeune officier sont avec lui : ne faites pas de bruit : on a recommandé le plus grand silence. Ah ! mon dieu ! ce brave maître !…

Et Germain poussait des sanglots déchirants, et j’enviais ses larmes.

M. de Léonville, entre ouvre doucement la porte, et nous apercevons Gustave qui, à l’aide du jeune officier et du chirurgien qui le soutiennent, s’efforce de tracer quelques mots sur un papier ; mais presque au même instant la plume s’échappe de ses mains, et il perd connaissance. Hélas ! je crus à sa pâleur qu’il ne respirait plus ; mais le chirurgien nous rassura en nous disant que cette faiblesse était causée par la quantité de sang qu’il avait déjà fallu lui tirer ; car, ajouta-t-il, la blessure est si proche de la poitrine, qu’il faut avant tout le garantir de l’hémorrhagie. Je ne puis rien prononcer avant vingt-quatre heures ; mais s’il ne survient pas de crise fâcheuse, nous le sauverons. Ôtez ce papier qui l’inquiète, dit-il en se tournant vers moi, et veillez à ce qu’il n’éprouve aucune émotion vive ; je ne le quitterai pas de la nuit.