Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/94

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fit rire tous les ci-devant mystifiés de M. Le Blanc ; et il fut décidé que mon maître serait admis au nombre des conjurés avant d’avoir été leur dupe.

Mademoiselle Aubry, grande et belle fille, alternativement transformée en déesse de la Raison dans les fêtes publiques, ou en altière Junon dans les ballets de l’Opéra, était une des nymphes choisies pour recevoir les hommages du faux ambassadeur. Mademoiselle Albertine M*** et quelques autres moins illustres devaient les partager ou les envier ; mais on comptait peu sur la crédulité de cette petite Albertine dont l’esprit malin se connaissait trop en ruse pour se laisser facilement abuser ; aussi M. Le Blanc s’était-il muni par précaution d’un pauvre petit vieillard, se disant homme de lettres, et plastron ordinaire de toutes les mauvaises plaisanteries de la société. Cette espèce d’imbécile, à qui l’on faisait tout dire et tout croire, avait pourtant fini par s’apercevoir à sa vingtième mystification que Musson se moquait de lui. Déconcerté par cet excès de finesse, M. Le Blanc s’était vu contraint de recourir à d’autres moyens pour tromper encore son nouveau Poinsinet ; et l’on verra quel doux expédient il avait imaginé pour y réussir.

Mon maître m’ayant parlé de ce qui se passerait au souper de M. Le Blanc, et des farces qu’on devait y jouer, je me réjouis d’en pouvoir être témoin, et m’engageai à tenir un sérieux imperturbable ; mais quelques mots de Musson me firent bientôt sentir la témérité de cette promesse. J’avais compté sur un de ces mystificateurs de profession, possesseurs de quelques rôles plus ou moins burlesques qu’on leur sait bon gré de répéter gravement, sans penser qu’ils n’ont pas plus envie de rire du rabâchage de leurs insipides bons mots que les gens qui les entendent pour la seconde fois. Mais M. Musson n’avait rien de commun avec ces bouffons-là. Indépendant par état, observateur par goût, malin par caractère, on s’apercevait sans peine, à la variété de ses plaisanteries, qu’il travaillait pour son plaisir. Enfin son talent tenait plutôt de la comédie que de la farce, et la manière dont il l’employait quelquefois à venger le mystifié de l’Amphitryon lui-même, en était une preuve évidente. Les sujets qu’on lui