Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
    141    

Endurants et rusés, pareils à l’âne, vous avez toujours intercédé pour le peuple.

Et maint puissant qui voulait accorder l’allure de son char conformément au goût du peuple attela devant ses chevaux — un petit âne, un sage illustre !

Et maintenant, ô sages célèbres, je voudrais que vous jetiez enfin tout à fait loin de vous la peau du lion !

La peau bigarrée de la bête fauve, et les touffes de poil de l’explorateur, du chercheur et du conquérant.

Hélas ! pour apprendre à croire à votre « véracité », il me faudrait vous voir briser d’abord votre volonté vénératrice.

Véridique — c’est ainsi que j’appelle celui qui va dans les déserts sans Dieu, et qui a brisé son cœur vénérateur.

Dans le sable jaune brûlé par le soleil, il lui arrive de regarder avidement vers les îles aux sources abondantes où, sous les sombres feuillages, repose la vie.

Mais sa soif ne le convainc pas de devenir pareil à ces satisfaits ; car où il y a des oasis il y a aussi des idoles.

Affamé, violent, solitaire, sans Dieu : ainsi se veut la volonté du lion.

Libre du bonheur des esclaves, délivré des dieux et des adorations, sans épouvante et épouvantable, grand et solitaire : telle est la volonté du véridique.

C’est dans le désert qu’ont toujours vécu les véridiques, les esprits libres, maîtres du désert ; mais dans les villes habitent les sages célèbres et bien nourris, — les bêtes de trait.