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En vérité, mes amis, je marche parmi les hommes comme parmi des fragments et des membres d’homme !

Ceci est pour mon œil la chose la plus épouvantable de voir les hommes brisés et dispersés comme s’ils étaient couchés sur un champ de carnage.

Et lorsque mon œil fuit du présent au passé : il trouve toujours la même chose : des fragments, des membres et des hasards épouvantables — mais point d’hommes !

Le présent et le passé sur la terre — hélas ! mes amis — voilà pour moi les choses les plus insupportables ; et je ne saurais point vivre si je n’étais pas un visionnaire de ce qui doit fatalement venir.

Visionnaire, volontaire, créateur, avenir lui-même et pont vers l’avenir — hélas ! en quelque sorte aussi un infirme debout sur ce pont : Zarathoustra est tout cela.

Et vous aussi, vous vous demandez souvent : « Qui est pour nous Zarathoustra ? comment pouvons-nous le nommer ? » Et comme chez moi, vos réponses ont été des questions.

Est-il celui qui promet ou celui qui accomplit ? un conquérant ou bien un héritier ? l’automne ou bien le soc d’une charrue ? un médecin ou bien un convalescent ?

Est-il poète ou bien dit-il la vérité ? est-il libérateur ou dompteur ? bon ou méchant ?

Je marche parmi les hommes, fragments de l’avenir : de cet avenir que je contemple dans mes visions.

Et toutes mes pensées tendent à rassembler et à unir en une seule chose ce qui est fragment et énigme et épouvantable hasard.