Page:Nietzsche - Aurore.djvu/139

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
139
AURORE

des fantaisies, cachant un processus physiologique inconnu à nous, une espèce de langage convenu pour désigner certaines irritations nerveuses ? que tout ce que nous appelons conscience n’est en somme que le commentaire plus ou moins fantaisiste d’un texte inconnu, peut-être inconnaissable, mais pressenti ? Que l’on se remette en mémoire un petit fait quelconque. Admettons que nous nous apercevions un jour, tandis que nous traversons la place publique, que quelqu’un se moque de nous : selon que tel ou tel instinct a atteint en nous son point culminant, cet événement aura pour nous telle ou telle signification, — et selon l’espèce d’homme que nous sommes, ce sera un événement tout différent. Un tel l’accueillera comme une goutte de pluie, tel autre le secouera loin de lui comme un insecte ; l’un y cherchera un motif de querelle, l’autre examinera ses vêtements pour voir s’ils prêtent à rire, tel autre encore songera, comme conséquence, au ridicule en soi ; enfin il y en aura peut-être un qui se réjouira d’avoir involontairement contribué à ajouter un rayon de soleil à la joie du monde — et, dans chacun de ces cas, un instinct trouvera à se satisfaire, que ce soit celui du dépit, de la combativité, de la méditation ou de la bienveillance. Cet instinct, quel qu’il soit, s’est emparé de l’incident comme d’un butin ; pourquoi justement celui-là ? Puisqu’il était à l’affût, avide et affamé. — Dernièrement, à onze heures du matin, un homme s’est affaissé droit devant moi, comme frappé de la foudre ; toutes les femmes du voisinage se mirent à pousser des cris ; moi-même je le remis sur pied et j’attendis auprès