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AURORE

wagnérisme, de tout schopenhauerisme ! Que reste-t-il à faire ? Où faut-il se réfugier avec sa soif de « vénération en bloc » ? Pourrait-on peut-être choisir, dans la musique du musicien, quelques centaines de bonnes mesures qui vous tiennent à cœur et que l’on aime à prendre à cœur, parce qu’elles ont un cœur — pourrait-on se mettre à l’écart avec ce petit butin et oublier tout le reste ? Et rechercher pareille combinaison par rapport au philosophe et à l’homme d’État — choisir, prendre à cœur, et surtout oublier le reste ? Hélas ! s’il n’était pas si difficile d’oublier ! Il y avait une fois un homme très fier qui, à aucun prix, ne voulait rien accepter que de lui-même, en bien et en mal : mais lorsqu’il eut besoin de l’oubli il ne put se le donner et il fut forcé de conjurer les esprits, trois fois ; ils vinrent, ils entendirent son désir et ils finirent par dire : « Cela seul n’est pas en notre pouvoir ! » Les Allemands ne devraient-ils pas profiter de l’expérience de Manfred ? Pourquoi d’abord conjurer les esprits ? Cela ne sert de rien, on n’oublie pas lorsque l’on veut oublier. Et combien grand serait « le reste » qu’il faudrait oublier, chez ces trois grands hommes de l’époque, pour pouvoir être dorénavant leur admirateur en bloc ! Il serait donc préférable de profiter de la bonne occasion pour essayer quelque chose de nouveau : je veux dire, progresser dans la probité vis-à-vis de soi-même et devenir, au lieu d’un peuple qui répète d’une façon crédule et qui hait méchamment et aveuglément, un peuple d’approbation conditionnelle et d’opposition bienveillante ; mais apprendre avant