Page:Nietzsche - Considérations Inactuelles, II.djvu/100

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son action. Tout d’abord et longtemps il souffrit de l’absence de lecteurs ; et c’est là une honte durable pour notre époque littéraire : ensuite, lorsque vinrent les lecteurs, ce fut le manque de conformité de ses premiers témoins publics ; plus encore, à ce qu’il me semble, l’incompréhension de tous les hommes modernes vis-à-vis de tous les livres, car personne à l’heure qu’il est ne veut plus prendre les livres au sérieux. Peu à peu, un nouveau danger s’est ajouté aux autres, né des tentatives multiples qui ont été faites pour adapter Schopenhauer à la débilité du temps ou pour l’ajouter comme un élément étranger, une sorte de condiment agréable que l’on mêlerait aux mets quotidiens en guise de piment métaphysique. C’est de cette façon qu’il a été connu peu à peu et qu’il est devenu célèbre et je crois qu’il y a maintenant plus de gens qui connaissent son nom que celui d’Hegel. Et, malgré cela, il est encore un solitaire, malgré cela, jusqu’à présent, il n’a pas encore exercé d’influence. Ses véritables adversaires littéraires et les aboyeurs peuvent, moins que personne, revendiquer l’honneur d’avoir entravé cette renommée, d’une part, parce qu’il y a peu d’hommes qui aient la patience de le lire et, d’autre part, parce que ceux qui ont cette patience se trouvent directement amenés à Schopenhauer. Qui donc se laisserait empêcher par un ânier de monter un beau cheval, quel que soit l’éloge que celui-ci fasse de son âne aux dépens du cheval ?

Celui donc qui a connu la déraison de la nature dans notre temps devra réfléchir aux moyens de donner ici un coup d’épaule. La tâche qu’il aura à remplir sera de faire connaître Schopenhauer aux esprits libres et à