Page:Nietzsche - Considérations Inactuelles, II.djvu/203

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et qu’il rend bienheureux ; mais pour Wagner lui-même c’est un nuage de plus, un nuage plein de difficultés, de soucis, de méditations, de chagrins, un nouvel assaut des éléments hostiles, tout cela cependant illuminé par le rayonnement de la fidélité altruiste, transformé par la lumière en un bonheur ineffable !

Il est à peine besoin de le dire : le souffle tragique a passé sur cette existence. Et celui dont l’âme peut en deviner quelque chose, celui pour qui l’illusion tragique sur le but de la vie, la déviation et l’arrêt des aspirations, le renoncement et la purification par l’amour, ne sont pas des notions tout à fait étrangères, sentira nécessairement, dans ce que Wagner affirme par son œuvre d’art, revivre le souvenir effacé de sa propre existence héroïque, celle du grand homme qu’il eût pu être. Nous croirons entendre dans un lointain mystérieux Siegfried racontant ses exploits : le deuil profond de l’automne se mêle à la joie du plus touchant souvenir et toute la nature se repose paisiblement dans un crépuscule doré.

9.

Réfléchir à ce qu’est Wagner en tant qu’artiste et considérer le spectacle qu’offrent chez lui des facultés et des nécessités véritablement libérées, chacun de ceux qui ont souffert en examinant comment s’est formé l’homme dans Wagner devra s’y astreindre pour retrouver l’équilibre et la santé. Si l’art n’est, d’une façon générale, que le pouvoir de communiquer à d’autres ce que l’on a soi-même senti, si l’œuvre d’art est en contradiction avec