Page:Nietzsche - Considérations Inactuelles, II.djvu/23

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t pour nous autres à nous plonger dans la misère ; c’est le sentiment que j’ai éprouvé, par exemple, devant la sérénité de Strauss. On a véritablement honte d’avoir des contemporains aussi sereins, parce qu’ils compromettent votre époque et nous autres hommes auprès de la postérité. Ces joyeux compagnons ne voient pas les souffrances et les calamités qu’ils prétendent apercevoir et combattre en leur qualité de penseurs ; leur sérénité chagrine, car elle est une duperie, parce qu’elle veut faire croire qu’il y a là une victoire. La sérénité cependant n’existe en somme que lorsqu’elle est le résultat d’une victoire ; il en est ainsi dans les œuvres des vrais penseurs, aussi bien que dans toute œuvre d’art.

Que la matinée soit terrible et sérieuse, autant que peut l’être le problème de l’existence, l’œuvre ne paraîtra accablante et obsédante que lorsque le demi-penseur ou le demi-artiste l’aura étouffée sous les exhalaisons de sa médiocrité ; tandis que l’homme ne peut rien recevoir en partage de plus joyeux et de meilleur que de s’approcher d’un de ces victorieux qui, parce qu’ils ont imaginé ce qu’il y a de plus profond, devront précisément aimer ce qu’il y a de plus vivant et qui, en sages, devront finir par s’incliner vers le beau. Ils parlent véritablement, ils ne se contentent pas de répéter en bégayant ; ils se meuvent et vivent véritablement, non pas en se dissimulant d’une façon inquiétante sous un masque, comme font généralement les hommes, c’est pourquoi nous éprouvons dans leur voisinage quelque chose de vraiment humain et de naturel et que nous aimerions nous écrier comme Gœthe : « Combien une chose vivante est magnifique et délicieuse ; avec quelle