Page:Nietzsche - Considérations Inactuelles, II.djvu/31

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c'est le plus terrible antidote contre des hommes extra­ordinaires de les replonger ainsi profondément en eux-mêmes, de telle sorte, que leur retour à la surface est chaque fois semblable à une explosion volcanique. Pourtant il existe encore des demi-dieux qui sont capa­bles de vivre dans des conditions aussi abominables, de vivre même victorieusement; si vous, voulez entendre les chants solitaires d'un de ces demi-dieux, écoutez la musique de Beethoven.

Demeurer solitaire, tel fut donc le premier danger dont l'ombre environna Schopenhauer. Mais il était exposé encore à un autre danger, celui de désespérer de la vérité. Ce danger accompagne tout penseur qui prend comme point de départ la philosophie kantien­ne, en admettant qu'il soit un homme vigoureux et complet, aussi bien dans ses souffrances que dans ses passions et non point seulement une bruyante machine à penser et à calculer- Or, nous savons tous fort bien ce qu'il y a d'humiliant dans cette condition préalable que nous posons. Il me semble même que c'est seulement chez un petit nombre d'hommes que l'influence de Kant s'est fait sentir d'une façon vivante, pénétrant le sang et la sève. On affirme partout, à vrai dire, ainsi qu'on l'écrit, que depuis l'acte de ce modeste savant une ré­volution a éclaté dans tous les domaines intellectuels, mais je ne puis y croire, Car je n'aperçois point d'une façon précise les traces de cette révolution chez les hom­mes qui devraient pourtant être atteints avant que des domaines entiers aient été révolutionnés. Mais, dès que nous apercevons l'influence populaire de Kant, celle-ci apparaîtra devant nos yeux sous la forme d'un scepti