Page:Nietzsche - Considérations inactuelles, I.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

traversa l’existence, un autre qui la traversa avec mélancolie, un troisième avec pitié et compassion — tous laissant cependant un seul enseignement, à savoir que celui-là seul vit de la plus merveilleuse façon qui n’estime point la vie. Alors que l’homme vulgaire prend au sérieux ce court espace de temps, alors qu’il le trouve tristement désirable, ceux-là au contraire, sur la route qui mène à l’immortalité et à l’histoire monumentale, parvinrent à s’élever au rire olympien, ou du moins à un sublime dédain ; souvent ils descendirent avec ironie dans une tombe — car qu’y avait-il chez eux à enterrer ? Cela seul qui les avait toujours oppressés, étant scorie, déchet, vanité, animalité, et qui maintenant tombe dans l’oubli après avoir abandonné depuis longtemps à leur propre mépris. Mais une chose vivra, le monogramme de leur essence la plus intime, une œuvre, une action, une clarté singulière, une création : vivra parce que nulle postérité ne pourrait s’en passer.

Sous cette forme transfigurée, la gloire est autre chose que l’exquise pâture de notre amour-propre, comme l’a appelée Schopenhauer ; elle est la foi en l’homogénéité et la continuité de ce qui est sublime dans tous les temps, elle est la protestation contre le changement des espèces et l’instabilité.

Par quoi donc la contemplation monumentale du passé, l’intérêt pour ce qui est classique et rare dans les temps écoulés, peut-il être utile à l’homme