Page:Nietzsche - Considérations inactuelles, I.djvu/209

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aujourd’hui, essentiellement historique. Les peuples les plus vigoureux, par leurs actes et par leurs œuvres, n’ont-ils pas vécu autrement, n’ont-ils pas fait autrement l’éducation de leur jeunesse ? Mais — et c’est là l’objection des sceptiques — à nous convient cette superstition, à nous convient cette absurdité, à nous les tard-venus, derniers rameaux étoilés de générations puissantes et joyeuses. C’est à nous qu’il faut appliquer la prophétie d’Hésiode qui affirme qu’un jour les hommes naîtraient avec des cheveux gris et que Zeus détruirait cette génération, aussitôt que ce signe deviendrait visible. De fait, la culture historique est véritablement une sorte de caducité de naissance, et ceux qui en portent les stigmates depuis leur enfance doivent arriver à croire instinctivement à la vieillesse de l’humanité. Mais à la vieillesse convient une occupation de vieillard : regarder en arrière, passer en revue, dresser un bilan, chercher une consolation dans les événements d’autrefois, évoquer des souvenirs, en un mot s’adonner à une culture historique. L’espèce humaine cependant est une chose tenace et persévérante qui ne veut pas que l’on juge ses pas — en avant et en arrière — d’après des centaines de milliers d’années. Autrement dit, l’espèce humaine n’a aucune velléité de se laisser juger dans son ensemble par cet atome infinitésimal qu’est l’homme individuel. Que signifient quelques milliers d’années (autrement dit l’espace de