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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

leur avait donné une patiente fierté et un mépris silencieux. — Ce christianisme, considéré comme glas de la bonne antiquité, sonné d’une cloche fêlée et lasse, mais d’un son pourtant mélodieux, ce christianisme, même pour celui qui maintenant ne parcourt ces siècles qu’au point de vue historique, est un baume pour l’oreille : que dut-il donc être pour les hommes de l’époque ! — Par contre, le christianisme est un poison pour les jeunes peuples barbares ; planter par exemple dans les âmes des vieux Germains, ces âmes de héros, d’enfants et de bêtes, la doctrine du péché et de la damnation, qu’est-ce autre chose, sinon les empoisonner ? Une formidable fermentation et décomposition chimiques, un désordre de sentiments et de jugements, une poussée et une exubérance des choses les plus dangereuses — telle fut la conséquence nécessaire de tout cela, et, dans la suite, un affaiblissement foncier de ces peuples barbares. — Certes, sans cet affaiblissement, que nous resterait-il de la culture grecque ? quoi de tout le passé civilisé de la race humaine ? — Car les barbares qui n’avaient pas encore été touchés par le christianisme s’entendaient fameusement à faire table rase des vieilles civilisations : comme l’ont, par exemple, démontré avec une épouvantable évidence les conquérants païens de la Grande-Bretagne romanisée. Le christianisme a dû aider, contre son gré, à rendre immortel le « monde » antique. — Or, une question demeure ouverte et la possibilité d’un nouveau décompte : sans cet affaiblissement par le poison que j’ai dit, l’une ou l’autre de ces peuplades jeu-