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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

tions et places rétribuées, qui dépendent de lui, à l’engagement de se faire éduquer et estampiller par les établissements de l’État, autrement cette porte vous demeure close à jamais : honneurs dans la société, pain pour soi-même, possibilité d’une famille, protection d’en haut, esprit de corps chez ceux qui ont été éduqués en commun, — tout cela forme un filet d’espérances où se précipitent tous les jeunes gens : d’où pourrait donc leur venir un souffle de méfiance ? Si, en fin de compte, l’obligation pour chacun d’être soldat pendant quelques années est devenue, au bout de quelques générations, une habitude et une condition que l’on accomplit sans arrière-pensée, en vue de quoi l’on arrange d’avance sa vie, l’État peut encore hasarder le coup de maître d’enchaîner, par des avantages, l’école et l’armée, l’intelligence, l’ambition et la force, c’est-à-dire d’attirer vers l’armée les hommes d’aptitudes et de culture supérieures et de leur inculquer l’esprit militaire de l’obéissance volontaire : ce qui les entraînera peut-être à prêter serment au drapeau, pour toute leur vie, et à procurer, par leurs aptitudes, un nouvel éclat au métier des armes. — Alors il ne manquera plus autre chose que l’occasion des grandes guerres : et l’on peut prévoir que, de par leur métier, les diplomates y veilleront en toute innocence, de même que les journaux et la spéculation : car le « peuple », lorsqu’il est un peuple de soldats, a toujours bonne conscience quand il fait la guerre, — inutile de la lui suggérer.