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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

les limites et l’objet véritable de tout soin et de toute réflexion : « C’est, disait-il, et c’est seulement « ce qui chez moi m’arrive en bien et en mal ».

7.

Deux modes de consolation. — Épicure, l’homme qui calma les âmes de l’antiquité finissante, eut cette vue admirable, si rare à rencontrer aujourd’hui encore, que, pour le repos de la conscience, la solution des problèmes théoriques derniers et extrêmes n’est pas du tout nécessaire. Il lui suffisait ainsi de dire aux gens que tourmentait l’ « inquiétude du divin » : « S’il y a des dieux, ils ne s’occupent pas de nous » — au lieu de disputer sans fruit et de loin sur ce problème dernier, de savoir si en somme il y a des dieux. Cette position est de beaucoup plus favorable et plus forte : on cède de quelques pas à l’autre et ainsi on le rend plus disposé à écouter et à réfléchir. Mais dès qu’il se met en devoir de démontrer le contraire — à savoir que les dieux s’occupent de nous — dans quels labyrinthes et dans quelles broussailles le malheureux doit s’égarer, de son propre fait, et non par la ruse de l’interlocuteur, qui doit seulement avoir assez d’humanité et de délicatesse, pour cacher la pitié que lui donne ce spectacle. À la fin, l’autre arrive au dégoût, l’argument le plus fort contre toute proposition, au dégoût de son opinion propre ; il se refroidit et s’en va avec la même disposition que le pur athée : « Que m’importent les dieux ! le diable les emporte ! » — En d’autres cas, particulièrement quand une hypothèse demi-phy-