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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

style le laisse deviner, il possède l’ironie, la prétention, la méchanceté, la haine et toutes les tergiversations dans l’état d’esprit qui sont le propre des hommes les moins religieux, — combien plus elles seront sans force pour celui qui les entendra ou les lira ! En un mot, il servira à rendre ses auditeurs moins religieux.

80.

Danger dans la personne. — Plus Dieu a été considéré comme une personne à part, moins on lui a été fidèle. Les hommes s’attachent plus aux images de leur pensée qu’à ce qu’ils ont de plus cher parmi leurs bien-aimés : c’est pourquoi ils se sacrifient pour l’État, l’Église, et aussi pour Dieu, — en tant que celui-ci demeure leur produit, leur pensée et qu’on ne le prend pas d’une façon trop personnelle. Dans ce dernier cas ils se disputent presque toujours avec lui : le plus pieux d’entre eux a laissé échapper cette parole amère : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ! »

81.

La justice terrestre. — Il est possible de faire sortir de ses gonds la justice terrestre — avec la doctrine de l’irresponsabilité absolue et de l’innocence de chacun : et l’on a déjà fait une tentative dans ce sens, — justement en vertu de la doctrine contraire, celle de la complète responsabilité et de la culpabilité de chacun. Ce fut le fondateur du christianisme qui voulut supprimer la justice terrestre et extirper du monde le jugement et la puni-