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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

son instinct qui crée et imagine des personnes. Dans ses rapports avec les pensées, même les plus abstraites, il se comporte comme si elles étaient des individus avec lesquels on est forcé de lutter ou de prendre partie, des individus que l’on garde, soigne et élève. Écoutons ou guettons-nous nous-mêmes dans la minute où nous entendons ou trouvons un axiome nouveau pour nous. Peut-être nous déplaît-il parce qu’il se présente avec tant de hauteur et d’orgueil : inconsciemment nous nous demandons si nous ne devons pas lui opposer un ennemi ou bien lui adjoindre un « peut-être » ou un « parfois » ; le petit mot « probable » nous donne même satisfaction, parce qu’il brise la tyrannie personnelle de l’absolu qui nous importune. Lorsque, par contre, cet axiome nouveau nous apparaît sous une forme plus atténuée, tolérant et humble comme il convient, se jetant, en quelque sorte, dans les bras de la contradiction, nous avançons un autre exemple de notre souveraineté : car comment saurions-nous ne pas venir en aide à cet être faible, le caresser et le nourrir, lui donner de la force et de la plénitude et même une apparence de vérité et d’absolu ? Nous est-il possible de nous comporter à son égard d’une façon naturelle, chevaleresque ou compatissante ? — Ailleurs encore nous voyons d’une part un jugement et d’autre part un autre jugement, éloignés l’un de l’autre, sans qu’ils soient liés et sans qu’ils tendent à se rapprocher : alors une idée nous chatouille, nous nous informons s’il n’y aurait pas un mariage à faire, une conclusion à tirer, nous avons le senti-