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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

musique : et ce fut celle que nous comprîmes d’abord, par conséquent la plus simple et la plus enfantine, celle qui ne fut guère plus que le développement d’une chanson de nourrice ou d’un air de musicien ambulant. (Car il faut que l’on soit préparé et exercé pour les moindres révélations de l’art : il n’existe nullement d’effet « immédiat » de l’art, quelles que soient les belles inventions que les philosophes aient à ce sujet.) C’est à ces premiers ravissements musicaux — les plus violents de notre vie — que se rattache notre sentiment, lorsque nous entendons ces mélismes italiens : la béatitude d’enfant et la fuite du jeune âge, le sentiment de l’irréparable comme notre bien le plus précieux, — tout cela touche les cordes de notre âme d’une façon plus violente que la présence la plus abondante et la plus sérieuse de l’art ne saurait le faire. — Ce mélange de joie esthétique avec un chagrin moral que l’on a maintenant l’habitude d’appeler communément « sentimentalité », un peu trop orgueilleusement comme il me semble — c’est l’état d’âme de Faust à la fin de la première scène — cette « sentimentalité » des auditeurs profite à la musique italienne que, généralement, les gourmets expérimentés de l’art, les « esthéticiens » purs, aiment à ignorer. — D’ailleurs toute musique ne commence à avoir un effet magique qu’à partir du moment où nous entendons parler en elle le langage de notre propre passé : et en ce sens, pour le profane, toute musique ancienne semble devenir toujours meilleure, et toute musique récente n’avoir que peu de valeur : car elle n’éveille pas encore de