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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

diatement tout le monde contre lui. — Ce sentiment fait honneur à notre temps.

209.

Avoir honte de la richesse. — Notre temps ne tolère qu’une seule espèce de riches, ceux qui sont honteux de leur richesse. Si l’on entend dire de quelqu’un « il est très riche », on est pris immédiatement d’un sentiment analogue à celui que l’on éprouve en face d’une maladie répugnante qui fait enfler le corps, l’hydropisie ou l’excès d’embonpoint : il faut se souvenir brutalement de son humanité, pour pouvoir fréquenter ce riche de façon à ce qu’il ne s’aperçoive pas de notre sentiment de dégoût. Mais dès qu’il s’avise de s’enorgueillir de sa richesse, notre sentiment se trouble encore d’un étonnement mêlé de compassion devant une aussi forte dose de déraison humaine : en sorte que l’on aurait envie d’élever les mains au ciel et de s’écrier : « Pauvre être déformé, accablé et enchaîné de cent façons, à qui chaque heure apporte, ou peut apporter, quelque chose de désagréable, dont les membres éprouvent les contre-coups de chaque événement qui se passe chez vingt peuples différents, comment saurais-tu nous faire croire que tu te sens à ton aise dans ta situation ? Si tu parais quelque part en public, nous savons que c’est pour toi comme si tu passais par les verges, sous des yeux qui n’ont pour toi que de la haine froide, de l’importunité ou de la silencieuse raillerie. Il se peut qu’il te soit plus facile d’acquérir qu’à un autre : mais ce que tu acquerras sera superflu et ne te procurera que peu