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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE



215.

Mode et moderne. — Partout où l’ignorance, la malpropreté et la superstition sont encore coutumières, partout où le commerce est faible, l’agriculture misérable, le clergé puissant, on rencontre encore les costumes nationaux. Par contre la mode règne là où l’on trouve les indices du contraire. La mode se rencontre donc à côté des vertus de l’Europe actuelle : en serait-elle véritablement le revers ? — Le costume masculin qui se conforme à la mode et non plus au caractère national exprime d’abord chez celui qui le porte, que l’Européen ne veut se faire remarquer, ni comme individu ni comme représentant d’une classe et d’un peuple, qu’il s’est fait une loi de l’atténuation intentionnelle de ces sortes de vanités ; ensuite qu’il est laborieux et qu’il n’a pas beaucoup de temps pour s’habiller et se parer, et aussi que tout ce qui est précieux et luxueux dans l’étoffe et l’agencement des plis se trouve en désaccord avec son travail ; et enfin que par son costume il veut indiquer que les professions savantes et intellectuelles sont celles dont il se sent ou aimerait se sentir le plus près, en tant qu’homme européen : tandis qu’à travers les costumes nationaux qui existent encore transparaît le brigand, le berger ou le soldat, qui, de la sorte, seraient envisagés comme les conditions les plus désirables, celles qui donnent le ton. Il y a ensuite, dans les limites tracées par le caractère général des modes masculines, les petites oscillations produites par la vanité des jeunes hommes, les élégants et les oisifs des grandes