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LE VOYAGEUR ET SON OMBRE

atteint : la séparation de l’homme et de l’animal. — Or, nous nous trouvons au milieu de notre travail pour enlever les chaînes, et il nous faut pour cela les plus grandes précautions. Ce n’est qu’à l’homme anobli que la liberté d’esprit peut être donnée ; lui seulement est touché par l’allègement de la vie qui met du baume dans ses blessures ; il est le premier à pouvoir dire qu’il vit à cause de la joie et à cause de nul autre but ; et, dans toute autre bouche, la devise serait dangereuse : Paix autour de moi et bonne volonté à l’égard de toutes les choses prochaines. — Cette devise pour les individus le fait songer à une parole ancienne, magnifique et touchante à la fois, qui était faite pour tous et qui est demeurée au-dessus de l’humanité, comme une devise et un avertissement dont périront tous ceux qui en orneront trop tôt leur bannière, — une devise qui fit périr le christianisme. Il semble bien que les temps ne sont pas encore venus où tous les hommes pourront avoir le sort de ces bergers qui virent le ciel s’illuminer au-dessus d’eux et qui entendirent ces paroles : « Paix sur la terre, bonne volonté envers les hommes[1] » — Le temps appartient encore aux individus.

  1. Luc, II, 14. — N. d. T.