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OPINIONS ET SENTENCES MÊLÉES

hommes religieux proclament au sujet de leur « savoir », de leur « saint » esprit tous les hommes probes de la science ne sont-ils pas « pauvres d’esprit » ? Une religion, quelle qu’elle soit, peut-elle exiger plus de renoncement, exclure avec moins de pitié les égoïstes que ne fait la science ? — Voilà à peu près comme nous pourrions parler, nous autres, et certainement avec quelque fondement historique, lorsque nous avons à nous défendre devant les croyants ; car il n’est guère possible de mener une défense sans un peu de cabotinage. Mais, lorsque nous sommes entre nous, il faut que le langage soit plus loyal : nous nous servons alors d’une liberté que ceux-ci ne sauraient comprendre, fût-ce même dans leur propre intérêt. Foin donc de la calotte du renoncement ! Foin de ces airs d’humilité ! Bien mieux et tout au contraire : c’est là notre vérité ! Si la science n’était pas liée à la joie de la connaissance, à l’utilité de la connaissance, que nous importerait la science ? Si un peu de foi, d’amour et d’espérance ne conduisait pas notre âme à la connaissance, que serait-ce qui nous attirerait vers la science ? Et, bien que, dans la science, le « moi » ne signifie rien, le « moi » inventif et heureux, et même déjà tout « moi » loyal et appliqué, importe beaucoup dans la république des hommes de science : l’estime de ceux qui confèrent l’estime, la joie de ceux à qui nous voulons du bien, ou de ceux que nous vénérons, dans certains cas la gloire et une modique immortalité de la personne : c’est là le prix que l’on peut atteindre pour cet abandon de la personnalité… pour ne point parler ici de résultats et