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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

peu étiolé, — et tout le monde croit généralement voir la nature où il n’y a que du verre froid.

152.

Écrire et vouloir vaincre. — Le fait d’écrire devrait toujours annoncer une victoire, une victoire remportée sur soi-même, dont il faut faire part aux autres pour leur enseignement. Mais il y a des auteurs dyspepsiques qui n’écrivent précisément que lorsqu’ils ne peuvent pas digérer quelque chose, ils commencent même parfois à écrire quand ils ont encore leur nourriture dans les dents : ils cherchent involontairement à communiquer leur mauvaise humeur au lecteur, pour lui donner du dépit et exercer ainsi un pouvoir sur lui, c’est-à-dire qu’eux aussi veulent vaincre, mais les autres.

153.

« Bon livre sait attendre ». — Tout bon livre a une saveur âpre lorsqu’il paraît : il a le défaut de la nouveauté. De plus son auteur lui est nuisible, parce qu’il est encore vivant et que l’on parle de lui, car tout le monde a l’habitude de confondre l’écrivain et son œuvre. Ce qu’il y a en celle-ci d’esprit, de douceur, d’éclat devra se développer avec l’âge, grâce à une admiration toujours grandissante, à une vieille vénération qui finit par être traditionnelle. Mainte heure doit avoir passé là-dessus, et bien des araignées devront y tisser leur toile. De bons lecteurs rendent un livre toujours meilleur et de bons adversaires l’éclaircissent.