Page:Nietzsche - L’Origine de la Tragédie.djvu/119

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
115
L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

de son œuvre en penseur socratique et il l’exécute en acteur passionné. Il n’est un pur artiste ni dans l’ébauche, ni dans l’exécution. Aussi son drame est-il une chose à la fois froide et ardente, également apte à glacer et à enflammer ; il lui est impossible d’atteindre à l’émotion apollinienne de l’épopée, et il s’est débarrassé le plus possible des éléments dionysiens ; et il lui faut chercher alors, pour agir sur nous, de nouveaux moyens d’émotion qui ne peuvent plus se réclamer désormais des deux seules et uniques impulsions artistiques, l’esprit apollinien et l’instinct dionysiaque. Ces moyens d’émotion sont de froides et paradoxales pensées, — à la place des contemplations apolliniennes, et des sentiments passionnés, — à la place des enthousiasmes dionysiens, — et ces pensées et ces sentiments sont copiés, imités de la façon la plus réaliste, et n’ont rien de commun avec les créations idéales de l’art.

Après avoir reconnu qu’Euripide ne put réussir à donner au drame une base exclusivement apollinienne, et que sa tendance anti-dionysienne s’est bien plutôt fourvoyée dans un naturalisme anti-artistique, nous pouvons examiner de plus près la nature du socratisme esthétique. Son dogme suprême est à peu près ceci : « Tout doit être conforme à la raison pour être beau », argument parallèle à l’axiome socratique : « Celui-là seul est vertueux, qui possède la connaissance. » Armé de