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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

tiste de l’ivresse et l’artiste du rêve. C’est comme tel que nous devons le considérer, quand, exalté par l’ivresse dionysiaque jusqu’au mystique renoncement de soi-même, il s’affaisse solitaire, à l’écart des chœurs en délire, et qu’alors, par la puissance du rêve apollinien, son propre état, c’est-à-dire son unité, son identification avec les forces primordiales les plus essentielles du monde, lui est révélé dans une vision symbolique.

Après ces prémisses et ces considérations générales, cherchons à reconnaître à quel degré et dans quelle mesure ces instincts d’art de la nature ont été développés chez les Grecs : nous nous trouverons par là en état de comprendre et d’apprécier plus profondément le rapport de l’artiste grec avec ses modèles primordiaux, ou, suivant l’expression d’Aristote, « l’imitation de la nature ». On ne peut guère émettre que des hypothèses au sujet des rêves des Grecs, malgré toute la littérature spéciale et les nombreuses anecdotes qui s’y rapportent ; cependant on peut le faire avec une certaine sécurité : en présence de la précision et de la sûreté de leur vision plastique, unies à leur évidente et sincère passion de la couleur, on ne pourra se défendre, à la confusion de tous ceux qui naquirent plus tard, de supposer pour leurs rêves aussi une causalité logique des lignes et des contours, des couleurs et des groupes, un enchaînement des scènes rappelant leurs meilleurs bas-reliefs, dont la per-