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L’ORIGINE DE LA TRAGÉDIE

d’Aristote ; elle n’a aucune valeur en ce qui concerne la formation originelle de la Tragédie, puisque cette opposition du peuple et du prince, en général toute idée politique ou sociale, est étrangère à son origine purement religieuse. Mais, bien que d’autres n’aient pas reculé devant ce blasphème, nous considérerions volontiers comme tel, au regard de la forme classique du chœur chez Eschyle et Sophocle, le fait de parler ici d’une manière de « représentation constitutionnelle du peuple ». Une semblable représentation fut inconnue in praxi aux constitutions des États antiques, et n’a, selon toute apparence, jamais été même « rêvée » dans la tragédie de ces peuples.

Beaucoup plus célèbre que cette définition politique du chœur est l’idée de A. W. Schlegel, qui veut nous faire considérer le chœur comme étant, jusqu’à un certain point, la substance et l’extrait de la foule des spectateurs, en un mot le « spectateur idéal ». En présence de cette tradition historique, qu’à l’origine la tragédie n’était que chœur, cette opinion est manifestement une allégation grossière, anti-scientifique et pourtant spécieuse dont le succès n’est dû qu’à la forme concise de l’expression, à la prévention toute germanique pour tout ce qui est qualifié d’« idéal », et aussi à notre surprise momentanée. Nous sommes en effet surpris dès que nous comparons à ce chœur le public de théâtre qui nous est bien connu, et que nous nous