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LE CAS WAGNER

pris, une horreur même pour leur symbolisme : ce sentiment leur sert presque de démonstration. Le Romain noble considérait le christianisme comme une fœda superstitio : je rappelle ici le sentiment que le dernier Allemand de goût distingué, que Goethe éprouvait pour la croix. On cherche en vain des contrastes plus précieux, plus nécessaires… »[1]

— Mais une duplicité comme celle des gens de Bayreuth n’est plus une exception aujourd’hui. Nous connaissons tous l’idée peu esthétique du hobereau chrétien. Cette innocence dans la contradiction, cette « conscience tranquille » dans le mensonge est moderne par excellence, elle devient presque la définition de la modernité. L’homme moderne représente, au point de vue biologique, une contradiction des valeurs, il est assis entre deux chaises, il dit tout d’une haleine oui et non. Quoi d’étonnant si, justement de nos jours, la duplicité est devenue chair et même génie ? Si Wagner a vécu « parmi nous » ? Ce n’est pas sans raison que j’ai appelé Wagner le Cagliostro de la Modernité… Mais nous tous, sans le savoir, sans le vouloir, nous avons dans le corps des valeurs, des mots, des formules, des morales d’origine opposée, — nous sommes, physiologiquement

  1. Remarque. — Sur l’antagonisme entre la « morale noble » et la « morale chrétienne », ma Généalogie de la Morale donne les premiers enseignements : il n’y a peut-être pas de revirement plus décisif dans l’histoire de la connaissance religieuse et morale. Ce livre, qui me sert de pierre de touche à l’égard de mes pairs, a le bonheur de n’être accessible qu’aux esprits les plus élevés et les plus sévères ; les autres manquent d’oreilles pour m’entendre. Il faut mettre sa passion dans des choses où personne ne la met aujourd’hui… (Note de Nietzsche.)