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NIETZSCHE CONTRE WAGNER

NOUS AUTRES ANTIPODES

On se souvient peut-être, du moins parmi mes amis, que j’ai commencé par me jeter sur le monde moderne, avec quelques erreurs et quelques exagérations, et, en tous les cas, rempli d’espérances. Je considérais, — qui sait à la suite de quelles expériences personnelles ? — le pessimisme philosophique du dix-neuvième siècle comme symptôme d’une force supérieure de la pensée, d’une plénitude de vie plus victorieuse que ne l’avait exprimé la philosophie de Hume, de Kant et de Hegel. — Je pris la connaissance tragique comme le plus beau luxe de notre civilisation, comme sa manière de prodiguer la plus précieuse, la plus noble, la plus dangereuse, mais pourtant, en raison de son opulence, comme un luxe qui lui était permis. De même j’interprétai la musique de Wagner comme l’expression d’une puissance dionysienne de l’âme ; en elle je croyais surprendre le grondement souterrain d’une force primordiale comprimée depuis des siècles et qui enfin se fait jour, indifférente d’ailleurs en face de l’idée que tout ce qui s’appelle aujourd’hui culture pourrait être ébranlé. On voit ce