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NIETZSCHE CONTRE WAGNER


sance : ô comme nous apprenons désormais à bien oublier, à bien ignorer, en artistes !… Et pour ce qui en est de notre avenir : on ne nous rencontrera guère sur les traces de ces jeunes Égyptiens qui infestaient les temples pendant la nuit, embrassant les statues et voulant à toute force dévoiler, découvrir, mettre en pleine lumière, tout ce qui, pour de bonnes raisons, est tenu caché. Non, ce mauvais goût, cette volonté d’atteindre la vérité, « la vérité à tout prix », cette manie d’adolescent dans l’amour de la vérité — tout cela ne nous importe plus guère : nous sommes trop expérimentés, trop sérieux, trop gais, trop endurcis, trop profonds… Nous ne croyons plus que la vérité demeure vérité, lorsqu’on lui arrache le voile, — nous avons assez vécu pour en être persuadés… Aujourd’hui c’est pour nous affaire de convenance qu’on ne veuille pas tout voir dans sa nudité, ne pas se trouver présent partout, ni tout comprendre, qu’on ne veuille pas tout « savoir ». Tout comprendre, — c’est tout mépriser… « Est-il vrai que le bon Dieu voit tout ? demandait une petite fille à sa mère : je trouve cela inconvenant » — un avertissement aux philosophes !… On devrait avoir plus de respect de la pudeur, refuge de la nature qui se tient cachée derrière des énigmes et de multiples incertitudes. Peut-être la vérité est-elle femme, et a-t-elle des raisons pour ne pas laisser voir ses raisons ?… Peut-être son nom, pour parler grec, est-il Baubo ?… Ô ces Grecs ! ils s’y entendaient à vivre ! Pour cela il est nécessaire de s’arrêter vaillamment à la surface, au repli, à l’épiderme, d’adorer l’apparence, de croire aux formes aux sons, aux mots, à tout l’Olympe des