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LE CAS WAGNER


qu’il est indispensable à quelqu’un : — au philosophe. Autrement on pourrait peut-être se passer de Wagner : le philosophe cependant n’est point libre de repousser ses services. Il doit être la mauvaise conscience de son temps, — c’est pourquoi il lui faut connaître son temps. Mais où trouverait-il pour le labyrinthe de l’âme moderne un guide mieux initié que Wagner, un plus éloquent connaisseur d’âmes ? Par Wagner la modernité parle son langage le plus intime : elle ne dissimule ni son bien ni son mal, elle a désappris toute pudeur devant elle-même. Et réciproquement : on est tout près d’avoir fait le compte de ce que vaut l’esprit moderne, quand on est d’accord avec soi-même pour ce qui en est du bien et du mal chez Wagner. — Je comprends parfaitement qu’un musicien d’aujourd’hui nous dise : « Je hais Wagner, mais je ne puis plus supporter d’autre musique. » Mais je comprendrais aussi un philosophe qui déclarerait : « Wagner résume la modernité. On a beau faire, il faut commencer par être wagnérien… »