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LE CRÉPUSCULE DES IDOLES

4.

L’autre idiosyncrasie des philosophes n’est pas moins dangereuse : elle consiste à confondre les choses dernières avec les choses premières. Ils placent au commencement ce qui vient à la fin — malheureusement ! car cela ne devrait pas venir du tout ! — les « conceptions les plus hautes », c’est-à-dire les conceptions les plus générales et les plus vides, la dernière ivresse de la réalité qui s’évapore, ils les placent au commencement et en font le commencement. De nouveau c’est là seulement l’expression de leur façon de vénérer : ce qu’il y a de plus haut ne peut pas venir de ce qu’il y a de plus bas, ne peut en général pas être venu… La morale c’est que tout ce qui est de premier ordre doit être causa sui. Une autre origine est considérée comme objection, comme contestation de valeur. Toutes les valeurs supérieures sont de premier ordre, toutes les conceptions supérieures, l’être, l’absolu, le bien, le vrai, le parfait — tout cela ne peut pas être « devenu », il faut donc que ce soit causa sui. Tout cela cependant ne peut pas non plus être inégal entre soi, ne peut pas être en contradiction avec soi… C’est ainsi qu’ils arrivent à leur conception de « Dieu… » La chose dernière, la plus mince, la plus vide est mise en première place, comme cause en soi, comme ens realissimum… Qu’il ait fallu que l’humanité prenne au sérieux les maux de cerveaux de ces malades tisseurs de toiles d’araignées ! — Et encore a-t-elle dû payer cher pour cela !…