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LE CRÉPUSCULE DES IDOLES


du mourant pour faire violence à sa conscience, d’avoir pris l’attitude du mourant comme prétexte à un jugement sur l’homme et son passé ! — Il s’agit ici, en dépit de toutes les lâchetés du préjugé, de rétablir l’appréciation exacte, c’est-à-dire physiologique, de ce que l’on appelle la mort naturelle : cette mort qui, en définitive, n’est point naturelle, mais réellement un suicide. On ne périt jamais par un autre que par soi-même. Cependant, la mort dans les conditions les plus méprisables, est une mort qui n’est pas libre, qui ne vient pas en temps voulu, une mort de lâche. Par amour de la vie on devrait désirer une mort toute différente, une mort libre et consciente, sans hasard et sans surprise… Enfin voici un conseil pour messieurs les pessimistes et autres décadents. Nous n’avons pas entre les mains un moyen qui puisse nous empêcher de naître : mais nous pouvons réparer cette faute — car parfois c’est une faute. Le fait de se supprimer est un acte estimable entre tous : on en acquiert presque le droit de vivre… La Société, que dis-je, la vie même, en tire plus d’avantage que de n’importe quelle « vie » passée dans le renoncement, avec les pâles couleurs et d’autres vertus —, on a débarrassé les autres de son aspect, on a délivré la vie d’une objection. Le pessimisme pur, le pessimisme vert ne se démontre que par la réfutation que messieurs les pessimistes font d’eux-mêmes : il faut faire un pas plus avant dans sa logique, et non pas seulement nier la vie avec « la volonté et la représentation », comme fit Schopenhauer —, il faut avant tout renier Schopenhauer… Le pessimisme, pour le dire en passant, si contagieux qu’il soit, n’augmente