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LE CRÉPUSCULE DES IDOLES


côté révolutionnaire (— ce côté révolutionnaire n’est qu’une des formes de l’irréel). Il eut recours à l’histoire, aux sciences naturelles, à l’antique, ainsi qu’à Spinoza, et avant tout à l’activité pratique ; il s’entoura d’horizons bien définis ; loin de se détacher de la vie, il s’y plongea ; il ne fut pas pusillanime et, autant que possible, il accepta toutes les responsabilités. Ce qu’il voulait, c’était la totalité ; il combattit la séparation de la raison et de la sensualité, du sentiment et de la volonté (— prêchée dans la plus repoussante des scolastiques par Kant, l’antipode de Gœthe) ; il se disciplina pour atteindre à l’être intégral ; il se fit lui-même… Gœthe, au milieu d’une époque aux sentiments irréels, était un réaliste convaincu ; il reconnaissait tout ce qui avait sur ce point une parenté avec lui — il n’y eut dans sa vie de plus grand événement que cette ens realissimum nommée Napoléon. Gœthe concevait un homme fort, hautement cultivé, habile à toutes les choses de la vie physique, se tenant lui-même bien en main, ayant le respect de sa propre individualité, pouvant se risquer à jouir pleinement du naturel dans toute sa richesse et toute son étendue, assez fort pour la liberté ; homme tolérant, non par faiblesse, mais par force, parce qu’il sait encore tirer avantage de ce qui serait la perte des natures moyennes ; homme pour qui il n’y a plus rien de défendu, sauf du moins la faiblesse, qu’elle s’appelle vice ou vertu… Un tel esprit libéré, apparaît au centre de l’univers, dans un fatalisme heureux et confiant, avec la foi qu’il n’y a de condamnable que ce qui existe isolément, et que, dans l’ensemble, tout se