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L’ANTÉCHRIST


Bible reste un document : Avec un mépris sans égal de toute tradition, à l’encontre de toute réalité historique, ils ont transcrit dans un sens religieux, leur propre passé national. Ils en ont fait un instrument stupide de salut et de culpabilité à l’égard de Javeh, de châtiment, d’adoration pour Javeh, de récompense. Nous ressentirions beaucoup plus douloureusement ce honteux acte de falsification de l’histoire, si l’interprétation ecclésiastique en cours depuis des milliers d’années, ne nous avait pas presque émoussés pour les exigences de la probité in historicis. Et les philosophes secondèrent l’Église : le mensonge de l’« ordre moral » traverse toute l’évolution de la philosophie jusqu’à la plus moderne. Que signifie l’« ordre moral » ? Qu’il existe, une fois pour toutes, une volonté de Dieu, qui décide tout ce que l’homme doit faire ou ne pas faire ; que la valeur d’un peuple ou d’un individu se mesure selon que l’on obéit plus ou moins à la volonté de Dieu ; que, dans les destinées d’un peuple ou d’un individu, la volonté de Dieu se montre dominante, c’est-à-dire qu’elle punit ou récompense, selon le degré d’obéissance. Mise en place de ce pitoyable mensonge, la réalité dit : une sorte d’hommes parasites qui ne prospère qu’aux dépens de toutes les formations saines de la vie, le prêtre, abuse du nom de Dieu : il appelle « règne de Dieu » un état de choses où c’est le prêtre qui fixe les valeurs ; il appelle « volonté de Dieu » les moyens qu’il emploie pour atteindre ou maintenir un tel état de choses ; avec un froid cynisme, il mesure les peuples, les époques, les individus, selon qu’ils ont été utiles ou qu’ils ont résisté à la prépondérance sacer-