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NIETZSCHE CONTRE WAGNER

Peut-être notre dernière musique, quel que soit l’empire qu’elle exerce et qu’elle veut encore exercer, n’a-t-elle plus devant elle qu’un espace de temps bien court : car elle a jailli d’une culture dont le sol a foncé rapidement, — d’une culture bientôt engloutie. Un certain catholicisme du sentiment et un goût prononcé pour quelque ancien esprit d’attachement au sol, d’attachement que l’on appelle « national », telles sont ses conditions premières. Les emprunts faits par Wagner aux vieilles légendes et aux lieds où le préjugé savant a cru voir quelque chose de germanique par excellence — aujourd’hui nous en rions —, la résurrection de ces monstres Scandinaves, avec une soif de sensualité en extase et de spiritualisation — toute cette manière de prendre et de donner, propre à Wagner, pour ce qui en est des sujets, des personnages, des passions et des nerfs, tout cela exprime clairement l’esprit de sa musique, en admettant que cette musique elle-même, comme d’ailleurs toute la musique, en parlant d’elle, ne laisse pas planer d’équivoque : car la musique est femme… Il ne faut pas se laisser égarer sur cet état de choses par le fait que nous vivons actuellement dans la réaction, au sein même de la réaction. L’époque des guerres nationales, du martyre ultramontain, tout ce caractère d’entr’acte particulier à la situation actuelle de l’Europe peut, en effet, procurer une gloire soudaine à un art comme celui de Wagner, sans lui garantir pour cela un avenir. Les Allemands eux-mêmes n’ont point d’avenir…