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NIETZSCHE CONTRE WAGNER

missante dont il est tout entier pénétré et teinté, cette certitude de savoir, de par sa douleur, plus que ne peuvent savoir les plus intelligents et les plus sages, d’avoir été familier et maître de mondes éloignés et terribles dont « vous ne savez rien »…, cet orgueil spirituel et silencieux, cette fierté de l’élu de la connaissance, de celui qui est « initié » et presque victime, a besoin de toutes les sortes de déguisement pour se protéger de l’attouchement de mains importunes et compatissantes et surtout de ce qui n’est pas son égal par la souffrance. La profonde douleur rend noble ; elle sépare. — Une des formes de déguisement les plus subtiles, c’est l’épicurisme et une certaine bravoure affectée du goût qui prend légèrement la souffrance et se défend de tout ce qui est triste et profond. Il y a des « hommes gais » qui se servent de la gaieté, parce que cette gaieté les fait mal comprendre — ils veulent être mal compris. Il y a des « esprits scientifiques » qui se servent de la science parce qu’elle les fait paraître gais, et parce que le caractère scientifique fait croire que l’homme est superficiel — ils veulent inciter à une conclusion erronée… Il y a des esprits libres et audacieux qui voudraient cacher et nier qu’au fond ils sont des cœurs irrémédiablement brisés, — c’est le cas d’Hamlet : et alors la folie elle-même peut être le masque pour un savoir fatal et trop certain. —