Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/359

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vre d’art (qu’il s’observe « lui-même »), ou s’il a « oublié le monde », ce qui est l’essentiel dans tout art monologué, — il repose sur l’oubli, il est la musique de l’oubli.

368.

Le cynique parle. — Mes objections contre la musique de Wagner sont des objections physiologiques : à quoi bon les déguiser encore sous des formules esthétiques ? Je me fonde sur le « fait » que je respire difficilement quand cette musique commence à agir sur moi ; qu’aussitôt mon pied se fâche et se révolte contre elle — mon pied a besoin de cadence, de danse et de marche, mon pied demande à la musique, avant tout, les ravissements que procurent une bonne démarche, un pas, un saut, une pirouette. — Mais n’y a-t-il pas aussi mon estomac qui proteste ? mon cœur ? la circulation de mon sang ? Mes entrailles ne s’attristent-elles point ? Est-ce que je ne m’enroue pas insensiblement ? — Et je me pose donc la question : mon corps tout entier, que demande-t-il en fin de compte à la musique ? Je crois qu’il demande un allègement : comme si toutes les fonctions animales devaient être accélérées par des rythmes légers, hardis, effrénés et orgueilleux ; comme si la vie d’airain et de plomb devait perdre sa lourdeur, sous l’action de mélodies dorées, délicates et douces comme de l’huile. Ma mélancolie veut se reposer dans les cachettes et dans les abîmes de la perfection : c’est pour cela que j’ai besoin de musique. Que m’importe le théâtre ? Que