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Page:Nignon - L'heptaméron des gourmets.djvu/35

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qui aimait la douce Ligurie et ses frivoles enfants, leur fut d’un grand secours en cette occasion. Peu de temps après l’avènement d’Akakia, il lui écrivit :

« Cher et honoré Cousin, la Ligurie qui jouit maintenant des avantages d’un gouvernement habile, se prend à renaître, trop lentement encore à mon gré. Pour bien marquer les sentiments que je nourris envers cette généreuse nation et pour contribuer de tout mon pouvoir aux progrès de son relèvement, j’ai décidé de t’offrir la dive Bouteille conservée dans mes terres depuis le trépas de l’illustre Pantagruel qui, jadis, régna sur nos deux États réunis en un seul Empire. J’ai l’espoir que ce présent te sera agréable et que tu en connaîtras, sans tarder, les merveilleux effets.

« Ton affectionné,

« Philène. »


Akakia éprouva une grande joie à lire ce message qu’il reçut des mains de trois Moutardiers venus de Cocagne tout exprès pour le lui remettre. Il renvoya les ambassadeurs avec force cadeaux et une lettre scellée où il disait sa reconnaissance au noble Philène et où il lui annonçait l’embarquement prochain de missionnaires chargés de prendre possession de la précieuse Bouteille.

Un conseil de la Couronne les désigna : on les choisit parmi les hommes les plus beaux, les plus avisés, les mieux parlants du royaume, ni trop jeunes, ni trop vieux, et bien morigénés en toutes vertus. Porphyre, Éphestion, Adraste, Eurydamas, Typhis, Léander, Elpénor (tels étaient leurs noms), après une visite au bon Akakia qui leur dit, avec des mots qui vont au cœur, ce qu’il attendait d’eux, se rendirent à Phocée, accompagnés des vœux de tout un peuple ; puis, un clair matin de Pâques-Fleuries, la nef qui les portait cingla joyeusement vers Cocagne.

La traversée parut interminable aux ambassadeurs impatients de visiter une contrée si étrange et si différente de tous les pays connus, mais ils étaient soutenus, au milieu de la monotonie des horizons et des longues nuits silencieuses, par l’espérance de voir des choses mémorables et par l’honneur qu’ils retireraient du voyage.

Après plusieurs mois de navigation, la nef entra dans une zone merveilleusement tempérée. Des chapelets d’îlots fleuris émergèrent des flots, puis des rivages capricieusement découpés et couronnés de bois séculaires apparurent, tandis qu’une odeur de paradis, l’odeur confondue de l’oliban, du miel, du