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Page:Nignon - L'heptaméron des gourmets.djvu/36

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cinname et de la cannelle et celle de milliers de fleurs se répandait par la mer. Sur le pont où ils étaient accoudés, le divin Porphyre, le bel Éphestion, les charmants Léander et Typhis et leurs autres compagnons jouissaient des jeux éclatants de la lumière, à l’approche de ces terres inconnues.

On aborda dans une anse, on jeta les amarres sur un beau quai de marbre tout garni d’anneaux d’or. Le Roi de Cocagne était venu au devant des voyageurs avec toute sa suite, son sénéchal, son connétable, son chambellan, tous trois montés sur des licornes, dix mille vignerons, moutardiers, charcutiers, vinaigriers, sauciers, gateliers, marmitons et farceurs menés en quatre bataillons par le Maître des Épices Garingal, le Panetier Triptolème, Fessepinte, le grand Sommelier et Bourrabaquin, le grand Échanson. Quant au roi Philène, il était sur un splendide char traîné par douze tarandes, deux girafes et quatre éléphants. Un long hourrah monta d’entre les rangs pressés de la foule acclamant les ambassadeurs d’Akakia qui rendirent son salut de la façon la plus galante au joyeux peuple agitant ses bonnets. Une fanfare de saqueboutes, de bugles et de trompettes d’argent fit entendre de brillantes sonneries. Le bon Philène descendit de son char : sa figure débonnaire en poire de bon-chrétien, aux yeux de perdrigon, sa couronne de morilles, son justaucorps couleur pistache, sa culotte braisée, son manteau à traîne que soutenaient des pages gentiment parés de chapeaux de pimprenelle, et la grande fourchette d’or qu’il portait majestueusement en guise de main de justice enchantèrent tous les regards.

Porphyre fit son compliment, auquel le roi répondit avec la meilleure grâce, puis il prit place avec Adraste, Eurydamas, Léander, Éphestion, Typhis et Elpénor dans une berline que bientôt le galop rapide de deux manticores emporta par la magnifique avenue au bout de laquelle étincelait le palais de Philène.


II


Les voyageurs furent conduits dans leurs appartements, où le barbier du Palais les frisa, les calamistra et les accommoda de son mieux (c’est l’usage en Cocagne de se raser minutieusement les lèvres afin de mieux savourer les mets), puis à l’invitation des officiers et serviteurs attachés à leurs personnes, ils se rendirent au cabinet de verdure où le Roi devait les traiter, ce premier jour.

Ils en profitèrent pour faire un tour de jardin, admirèrent la curieuse